Entre espoirs et comptabilité macabre: le dilemme israélien

Israël / Gaza : il est particulièrement obscène de parler d’ « échanges de prisonniers » au Proche-Orient. En effet, les islamistes du Hamas vont jusqu’à marchander les corps de leurs anciens otages israéliens... L’article Entre espoirs et comptabilité macabre: le dilemme israélien est apparu en premier sur Causeur.

Jan 23, 2025 - 12:44
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Entre espoirs et comptabilité macabre: le dilemme israélien

Israël / Gaza : il est particulièrement obscène de parler d’ « échanges de prisonniers » au Proche-Orient. En effet, les islamistes du Hamas vont jusqu’à marchander les corps de leurs anciens otages israéliens.


Romi Gonen, Emily Damari et Doron Steinbrecher, tout le monde connait désormais au moins le prénom ou le visage de ces trois jeunes femmes sorties des griffes du Hamas. Qui n’envisage pas avec angoisse et espoir ces longues six semaines à l’issue desquelles, si la première phase de l’accord se déroule comme prévu, 33 otages, trois ou quatre chaque semaine, reviendront chez les leurs ? Et parmi eux, combien dans des linceuls ? Car pour le Hamas, un cadavre israélien aussi a sa valeur d’échange.

Israël, un pays qui n’abandonne jamais ses morts

Le sergent Oron Shaul, tué il y a dix ans à Gaza, retrouvé par Tsahal, vient d’être enterré près de son père, qui pendant des mois avait fait le siège du Premier ministre à Jérusalem pour réclamer le retour du corps de son fils. Mission accomplie, mais le président Isaac Herzog et l’ancien chef d’Etat-major Benny Gantz sont venus au cimetière demander pardon à la famille pour le retard.

Un Etat qui n’abandonne pas ses morts ne peut pas abandonner ses vivants.

C’est le « Pikuach nefesh », la préservation de la vie, auquel fait écho l’expression  « lehaïm » signifiant « à la vie ». Cette prééminence a entrainé en 2011 l’échange de 1207 prisonniers palestiniens contre un seul prisonnier israélien, Gilad Shalit. Il est obscène aujourd’hui de parler d’échange de prisonniers. C’est un échange d’otages contre des prisonniers, près de 2000 à l’issue de la première phase. Parmi eux, 700 détenus dans les prisons israéliennes pour terrorisme, dont certains assassins condamnés à perpétuité.

Chacun sait que Yahya Sinwar était l’un des  1207 prisonniers et nul n’ignore que beaucoup des détenus libérés seront mêlés à d’autres actes terroristes. Les relâcher, auréolés de leurs années de prison, est une décision lourde de menaces. Romi, Emily et Doron n’iront pas tuer des Palestiniens pour se venger. Parmi les 90 prisonniers échangés contre elles, il n’en est pas de même, si on en croit leurs déclarations devant la foule enthousiaste de Ramallah. Et encore, ce premier groupe est celui des moins lourdement condamnés…

Ce scandale moral révulse beaucoup d’Israéliens, sans compter les familles des victimes d’attentats terroristes qui vont voir les assassins parader. Dans le décompte entre quelques dizaines d’otages à récupérer et les catastrophes que peuvent provoquer les terroristes libérés, le décalage parait accablant. Et un échange pareil confirme que la prise d’otages est un business profitable, à répéter dès que possible…

Précédents

Revient le passé, quand Israël refusait de négocier avec les auteurs de piraterie aérienne, et le souvenir du Raid d’Entebbe[1] dont le héros a été Yoni Netanyahou, sur une décision prise par Yitzhak Rabin, un travailliste. 

Ben Gvir a démissionné. Smotrich, qui ne l’a pas fait, attaque violemment l’accord. Beaucoup vilipendent Netanyahou pour s’être laissé tordre le bras afin de complaire à Trump la veille de son investiture. Ils considèrent donc qu’il fallait entrer immédiatement en conflit avec un président américain particulièrement amical envers Israël et dont le soutien est vital pour le pays, et qu’il fallait affronter en même temps les 75% d’Israéliens – dont la hiérarchie militaire – qui estiment que le retour des otages est une exigence prioritaire. Quant à penser qu’en acceptant l’accord, Netanyahou met en danger la sécurité du pays, on peut se dire que si celle-ci dépend de la libération de 1000 ou 2000 Palestiniens, alors Israël serait détruit depuis longtemps, tant les terroristes potentiels sont nombreux chez ses ennemis.

S’appuyer sur l’intransigeance du passé est futile. Dans les années 70, Israël ne devait pas céder aux pirates aériens car cela aurait été un terrible appel à la récidive, alors que le trafic n’était pas sécurisé comme aujourd’hui. La manière forte n’a pas toujours réussi: à Maalot, en 1974, l’intervention israélienne a entrainé l’assassinat de 22 enfants par les trois membres du commando FDLP[2].

De là ont résulté des renforcements majeurs des moyens de protection. L’engagement implicite sur lequel se fonde l’existence de l’Etat d’Israël, offrir un abri aux Juifs du monde entier, a pu ainsi être respecté. C’est cet engagement, mis à mal le 7-Octobre 2023, que Israël a dû rendre de nouveau crédible: pour cela il lui fallait détruire le Hamas et ramener les otages.

Le Hamas promet de recommencer

Le Hamas n’est pas détruit, mais il est très affaibli. Méfions-nous des photos trafiquées censées représenter une marée humaine de combattants victorieux sur la place de Gaza, mais écoutons bien les rodomontades du nouveau chef du Hamas, Khalil al-Hayya, qui salue la grande victoire et promet des récidives.

L’armée n’a pas pu libérer les otages, mais la négociation s’est faite dans de meilleures conditions pour Israël qu’il y a huit mois, car la guerre a considérablement affaibli les soutiens du Hamas, le Hezbollah et l’Iran, en même temps que vient au pouvoir une administration américaine apparemment moins frileuse contre le danger existentiel que pose le régime iranien. Cette fois-ci, le Hamas, malgré ses efforts, donnera difficilement le change.

C’est pourquoi je me réjouis du retour des otages, même si je sais que nous ne les reverrons pas tous et même si ces accords ne signifient pas la paix, contrairement aux vœux, pieux ou non, émis avec légèreté par ceux qui ne veulent pas admettre qu’une paix avec le Hamas n’est pas possible. 

L’accord peut être rompu à tout moment. De dramatiques surprises sont possibles. Une explosion orchestrée par le Hamas peut survenir en Cisjordanie. 

Plus encore, la deuxième phase sera extraordinairement difficile car dans la comptabilité macabre du Hamas, la valeur d’échange des otages (notamment les soldats) y sera encore plus élevée. En attendant, admirons l’exemple que donne Emily Damari, avec son sourire et ses doigts amputés, un magnifique message d’énergie et d’amour de la vie.


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Raid_d%27Entebbe

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_de_Ma’alot

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